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À l'occasion de la COP40.

28 novembre 2035, 16h45. Simon-Jérémy (pseudonyme pour préserver sa vie privée), mon fils de dix ans, rentre de l'école.
À l'occasion de la COP40.
Photo by Heather Mount / Unsplash

28 novembre 2035, 16h45. Simon-Jérémy (pseudonyme pour préserver sa vie privée), notre fils de dix ans, rentre de l'école (car l'école est toujours obligatoire en 2035 et la présence en classe est à nouveau autorisée, même si le budget de l'éducation est alloué à 80% à la politique #grandirennumérique).

_ Tu as fait quoi à l'école aujourd'hui, Simon-Jérémy ?

_ Un vieux monsieur est venu nous parler de la COP40. Pierre-Gilles m'a dit que son papa lui a dit que le monsieur avait été connu il y a longtemps.

_ La COP quoi ?

_ La COP40.

_ Ah oui ! C'est déjà la quarantième, le temps passe. J'avais presque oublié que ça existait, on n'en parle plus aux infos. Et c'était qui ce vieux monsieur ?

_ Monsieur Fabiu, il a dit qu'il a été le président de la COP il y a longtemps. Il nous a dit qu'il était très fier, mais plus maintenant, parce qu'il dit que ça a servi à rien.

_ Laurent Fabius ! Il est encore en vie ! Il n'était pas en prison ? Ou c'était son fils ? Je ne sais plus. Mais oui, c'était la COP21 je crois, ça fait longtemps. Tout le monde a cru qu'on allait vraiment changer le monde cette année là tu sais. Même moi. Et puis même pas cinq ans après, tout le monde avait déjà oublié ce qui avait été signé. Et depuis ils ont divisé par deux ou trois les objectifs de Paris.

_ C'est quoi les objectifs de Paris, papa ? Monsieur Fabiu il avait des larmes dans les yeux et il reniflait beaucoup, il parlait avec son mouchoir devant la bouche alors on comprenait rien.

_ Je ne me souviens plus très bien, mais je crois qu'ils voulaient limiter le réchauffement de la Terre à un ou deux degrés de plus, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre. Mais personne n'a fait aucun effort et on est à plus d'un degré déjà depuis.

_ C'est quoi les émissions de ce que t'as dit ?

_ Les émissions de gaz à effet de serre ? Tu vas en entendre souvent parler. C'est ce que tu vois à l'arrière de la voiture de tonton Victor-Vincent quand il va acheter du pain le matin. C'est du gaz qui pollue le ciel.

_ Sa voiture grise ?

_ Oui, elle aurait dû être interdite depuis le temps, mais ils ont dit qu'à la campagne ce serait autorisé jusqu'en 2050, alors tu connais tonton, il va la garder jusqu'à la fin.

_ Même si ça fait des gaz ?

_ Oui, mais c'est juste une voiture, c'est pas ça qui pollue le plus.

_ C'est quoi qui pollue le plus ? Parce que le monsieur il nous a dit que c'était à cause de ça que le haut de la France il était toujours sous l'eau, et que tous les gens du Sud ils venaient maintenant ici en Bretagne.

_ Euh oui, c'est à cause de ça, c'est aussi pour ça que les copains de papa du Sud ils dorment dans la tente dans le jardin de mai à octobre. Mais c'est pas de la faute de tonton, il y a d'autres personnes qui polluent plus, des grosses entreprises comme celle où papa travaille. Ils avaient dit qu'ils pollueraient moins après la COP de Paris, mais finalement ils ont dit que ce sera cette année ou l'année prochaine que ça va aller mieux.

_ Mais le monsieur il a dit que c'était trop tard de toute façon. Trop tard pour quoi ?

_ Ben, disons qu'il y a déjà plein de problèmes et qu'on ne sait plus trop comment les régler.

_ D'autres que tes copains qui doivent dormir dans le jardin ?

_ Oui, ça ce n'est pas très grave. Mais par exemple, tu te souviens l'année dernière, quand tu n'as pas pu aller à l'école ?

_ Oui, à cause de la maladie qui tuait les gens ?

_ Oui, la maladie Zombie-04. Elle est venue de Sibérie, tout en haut de la Terre, là où tout était gelé avant. En fait, elle est revenue, c'est pour ça qu'on l'appelle Zombie. C'est encore un autre virus qui était coincé dans la glace depuis des milliers et des milliers d'années, mais comme la glace fond à cause du réchauffement climatique, il s'est échappé et il est arrivé chez nous. Et c'est pour ça qu'on a dû rester à la maison. C'est comme quand il y avait eu le Covid.

_ Le quoi ?

_ Le Covid. C'est une autre maladie qui était venue de Chine quand papa était plus jeune, et comme l'année dernière, on avait plus le droit de sortir.

_ En tous cas le monsieur il a dit que quand il y a eu la COP à Paris, on pouvait encore tout changer, mais maintenant, on peut plus. Toi papa, tu savais qu'il y avait pas beaucoup de temps pour changer ?

_ Euh, oui, mais moi je pouvais rien faire, c'est les politiques qui décident tu sais.

_ Mais tu pouvais pas crier dans la rue comme vous faites des fois quand Marc-Didier le chauffeur du car il dit qu'il pourra pas nous emmener à l'école parce qu'il fait la grève ?

_ Si, mais ça n'aurait servi à rien tu sais, comme la COP de Paris.

_ Mais le monsieur il a dit que comme on croit qu'on peut rien faire, on fait rien. CFQD il a dit plusieurs fois. Et que à cause de ça, les enfants comme moi on va avoir une vie très très difficile. Et il a dit que nos parents ils devaient s'en vouloir pour ça.

_ Et ben, il est sympa Fabius ! Il vous a fait écouter Mickey 3D aussi ?

_ Mickey ? Non, pourquoi tu dis ça papa ? C'est pas parce qu'il a un costume et des oreilles vertes qu'il sauve le monde, c'est toi qui me l'as dit.

_ Ah ça oui, et tu savais que jusqu'à ta naissance il avait un costume rouge et noir et des oreilles noires ? Mais il ne sauvait pas le monde non plus.

_ Le monsieur Fabiu ?

_ Non, Mickey. Mais je parlais d'un groupe de musique, Mickey 3D. Ça me fait penser à ça ce que tu me dis, que c'est de notre faute, qu'on devrait s'en vouloir, bla bla. Mais je te le promets, on ne pouvait rien faire. Mais c'est pas grave, c'est toi et tes copains qui allez sauver le monde, j'en suis sûr ! Ou peut-être que la COP40 elle va tout changer, 40 ans quand même, c'est pas rien ! C'est où alors cette année ?

_ Le monsieur il a dit à Neom. Comme l'année dernière il a dit.

_ C'est vrai que tout se passe là-bas depuis les Jeux Olympiques d'hiver en Arabie-Saoudite. Moi, la dernière COP dont je me rappelle, c'est celle à Dubaï, ça avait fait rire tout le monde.

_ Pourquoi papa ?

_ Parce que pour que la voiture de tonton elle fasse des gaz qui polluent, dedans il faut mettre du pétrole. Et le pétrole, il vient de Dubaï et aussi de Neom et d'autres villes par là-bas. Et c'est elles qui sont responsables du réchauffement, pas nous. Et cette année là, pour la COP à Dubaï, c'était encore plus drôle parce que le président qui a remplacé le monsieur que tu as vu, et ben il a utilisé la COP pour vendre du pétrole, tout à l'inverse de ce que doit faire la COP.

_ C'est pas facile à comprendre. Mais je vois pas c'est quoi qui est drôle papa.

_ Tu as raison, mais des fois les grands disent qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer. Et comme on peut rien faire, on rigole.

_ Mais c'est pas rigolo si la vie elle est très très difficile comme il a dit le monsieur, si ?

_ Non, mais toi tu vas sauver le monde et la vie sera encore mieux.

_ Tu dis ça comme quand tu dis toujours que l'espoir il fait vivre. Mais moi je pense que c'est toi qui aurait du sauver le monde papa.


Cette histoire est bien sûr inspirée de faits complètement irréels. La preuve, ce vendredi 1er décembre 2023, pour la première journée de la COP28, se sont succédés à la tribune des gens emplis de bonne volonté pour présenter les actions concrètes qu'ils allaient mettre en place. Sélection :

Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations Unies : "Nous ne pouvons pas sauver une planète en flammes avec une lance à incendie remplie d'énergies fossiles". Et vlan !

Antonio Guterres, punchline numéro deux : "Il y a quelques jours, j'étais sur la neige qui fond en Antarctique. Juste avant (j'imagine il parle de six mois avant, car il a certainement fait le voyage à vélo), je me trouvais parmi les glaciers du Népal. Ces deux endroits sont éloignés l'un de l'autre, mais proches dans la crise." Et bam !

Stéphane Crouzat, Ambassadeur chargé des négociations internationales sur le changement climatique (en off, lui il ne parle pas à la tribune, il risquerait d'être trop concret) : "Malheureusement, on est tous d'accord sur le fait qu'on n'est pas du tout là où on devrait être. Ce qu'on veut, lors de cette COP, c'est informer les parties sur ce qu'il faut faire, le plus vite possible." Informons, informons ! (bon, il est pas si concret finalement)

Charles III, Roi d'Angleterre : "Des records de températures ne cessent d'être battus. Nous devons faire une pause pour comprendre ce qu'ils veulent vraiment dire." Il a raison, faisons une bonne pause, le temps qu'il faudra, cinq ou dix ans, pour être sûrs de la raison, parce que là c'est le flou Total.

Charles III toujours, concret comme jamais : "Vous avez dans les mains une opportunité immanquable de garder notre espoir vivant, faites preuve d'imagination et d'un vrai sens de l'urgence." Allez, regardez dans vos mains, vous la voyez l'opportunité ?

Charles III, avec Alzheimer, qui répète la même phrase depuis vingt ans : "Nos petits-enfants nous poseront des questions sur ce qui nous disons aujourd'hui, ils vivront les conséquences des actions que nous prenons." Ouf, ce sera pas nous.

Charles III, conclusion choc : "La Terre ne nous appartient pas, nous appartenons à la Terre." Applaudissements fournis, tout est dit !

Narenda Modi, Premier Ministre indien : "Le monde entier nous regarde, mère nature nous regarde." Ça flippe grave dans la salle.

Recep Tayyip Erdogan, Président turc, qui n'est pas au courant du réchauffement climatique et qui ne sait pas trop pourquoi il est là : "Le conflit entre Israël et Gaza est un crime humanitaire." Heureusement, il n'a pas tort.

Wavel Ramkalawan, Président des Seychelles, réaliste : "Nous ne sommes que de petites îles flottant dans l'océan." Et pour lui, ce n'est pas une métaphore.

Emmanuel Macron, je ne le présente plus : "Nous devons continuer le combat pour la nature" Quel combat ? "La France a une stratégie sur la finance, la sortie des énergies fossiles, la réduction des émissions" Ah, la France. Et belle stratégie, deux actions très concrètes rien que la semaine dernière :

  • 20 novembre : Deux mois après la fin de l'enquête publique, la commissaire enquêtrice Carole Ancla a rendu un avis favorable à la demande de la société canadienne Vermilion concernant son projet de forage de huit nouveaux puits de pétrole dans la forêt usagère de La Teste-de-Buch (Gironde). Vous connaissez, c'est là que tout avait cramé l'année dernière.
  • 22 novembre : Le ministère de la Transition écologique autorise La Française de l’énergie à exploiter le gaz de charbon emprisonné dans le sous-sol de l’ancien bassin minier lorrain. Pas moins de 191 km² sont ainsi concernés, pour jusqu’à 400 puits de forage. Pour info, l'interdiction du projet avait été demandé à la COP26. Happy Anniversary!

Finissons sur cette note d'espoir de Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne : "Cette COP peut faire l'histoire". Reste à voir de quelle manière.