À Vito.

Le Petit Chat s'ennuie.
Il tourne en rond, mais sa queue ne le divertit plus. Il n'est pas le seul, le Petit Poisson rouge albinos s'ennuie aussi. Lui aussi fait des ronds, la mémoire courte. Nous ne parlons pas ici de Maurice et Félix dont on connaît déjà l'histoire tragique. Le Petit Chat et Le Petit Poisson rouge albinos ne connaissent pas leurs noms, peut-être n'en ont-ils pas. Tout ce qu'ils font, ce sont des petits ronds, l'un à côté de l'autre. Ensemble, ils forment dans un certain désespoir une boucle infinie. Mais ils se tiennent compagnie, des petits ronds comme une ronde dansante. Un cercle de poètes ignorés.
Un matin, le fil se casse et un double noeud vient nouer l'estomac du Petit Chat.
Le bocal est vide, le Petit Poisson rouge albinos a disparu. Le Petit Chat est figé, il a le tournis. Il fixe la sphère vide des jours durant. Il espère un congé, un changement d'eau, un besoin de prendre l'air même si cela est peu probable pour un poisson. Mais surtout, il espère un retour. Les jours s'allongent, le Petit Chat tourne à nouveau en rond, désormais en faisant les cent pas. Il divague et c'est alors qu'il trébuche sur une télécommande laissée là comme un bateau naufragé. La télévision s'allume. Soudain, un Gros Poisson Blanc traverse l'écran. Le Petit Chat ne comprend pas que c'est un Béluga, il s'imagine immédiatement que c'est le Petit Poisson rouge albinos, grossi par l'image. Le Petit Chat a l'ouïe fine, il comprend que son ami se trouve au Canada. C'est l'heure de prendre le large.
Son plan d'attaque : beaucoup manger.
Il reprend goût à la vie en même temps que trop manger le dégoûte. Mais c'est le seul moyen. Le seul moyen d'assurer l'étanchéité du bocal avec son gros ventre, quand il enfilera l'aquarium tel un scaphandrier. Il veut se jeter à l'eau, retrouver son ami, reprendre la boucle infinie. Il sait que la mer est proche même s'il ne l'a jamais vue, il a toujours eu l'odorat fin et emplit d'embruns. Il est désormais plein, serein. Il n'a pas peur de nager, son ventre sera sa bouée. Il enfonce le bocal sur sa tête et jusqu'à la moitié de son corps en forme d'olive au milieu d'un cure-dent. Il ne passe plus la chatière, mais profite d'une fenêtre ouverte pour fuir et ne pas regarder derrière.
La mer est belle sur la pointe armoricaine.
Le Petit Chat est fasciné, la vision est cosmique depuis sa bulle de verre. Il plonge, direction l'Ouest. Il sourit en pensant aux marins qui croiseront un chat noir en plein milieu de l'Atlantique, telle une malédiction. Mais après plusieurs jours à nager, c'est sur lui qu'elle semble s'abattre. Tout est sombre et flou, son casque est remplit de buée. Il sait qu'il est perdu, que trouver un chat noir dans une mer noire est plus compliqué que de trouver une aiguille dans une botte de foin. Mais il a la foi, sa petite tête abritée lui dit qu'il va trouver ce qu'il est venu chercher.
Tout à coup, l'obscurité s'illumine.
Il pense au soleil, mais il sait que c'est impossible au Nord. Il s'imagine donc que c'est la fin, la lumière au bout du tunnel. Mais celle-ci vivote. Elle est devant, puis derrière, puis sur le côté. Une étoile filante ? Voilà qu'on frappe au bocal ! Il se dit qu'il a un pète au casque, mais s'active immédiatement à en lécher l'intérieur pour y voir plus clair. Soudain, deux grands yeux et un long sourire sur une bouche biscornue lui disent bonjour. "Quelle chance de croiser un chat noir en plein milieu de l'Atlantique !" lui dit le Béluga. "Tu as tellement grandi !" lui répond le Petit Chat. Et voilà qu'ils se mettent à faire la ronde.