Amour, lac et forêt.

J'ai le problème d'avoir le choix, et de ne pas savoir ce que je veux.
Il y avait la mer et son horizon à l'horizontale, la montagne et son sommet à la verticale. Mais, descendant maximaliste et ascendant minimaliste, je suis parti ailleurs, pensant que ni l'un ni l'autre ne suffisait (côté maximaliste) et qu'il me fallait quelque chose de plus intime (côté minimaliste). J'espérais ne pas me tromper. Bettina, elle, plus équilibrée et plus modeste, partait dans l'unique but de voir le sommet blanc d'un museau de béluga, peu importe où on le trouverait. Elle savait déjà, contrairement à moi, que nos quêtes seraient difficiles dans les étendues d'un fjord. Nous partions ainsi vers le Nord avec des espoirs différents, à la recherche de quelque chose, plus ou moins clair.
Sur la route vallonée, nous cherchions une curiosité entre les arbres aux cimes plongées dans un mystique manteau de brouillard.
Une biche, un élan, une marmotte, la surprise quand les regards se croisent est réciproque. Chacun découvre que son monde n'est pas celui de l'autre. On pense avoir tout vu, jusqu'à ce que l'on voit une fourrure ou une peau inconnue. "J'ai vu un bébé ours !" cria Bettina comme un enfant plein d'innocence, alors que je me laissais bercé par une route pourtant sans virage. "On dit un ourson", répondis-je comme un adulte vide de sens, alors qu'elle sautait presque sur le siège passager. Elle avait déjà trouvé quelque chose de beau, je regardais toujours au loin. Elle pouvait fermer les yeux pour rêver, je devais les garder ouverts pour arriver à destination. Dans ma tête, Mademoiselle Saeki chantait "Tu es assise au bord du monde, et moi dans un cratère éteint."
Je n'abandonnais pas.
J'ai attendu qu'une merveille me saute aux yeux, mais c'est l'inattendu qui m'a frappé au nez. Un hypercut en une inspiration. Un mélange d'épices, d'épines, de baies et de sève. Si puissant que j'ai perdu pieds en sortant de la voiture. Je cherchais quelque chose dans la forêt mais c'est la forêt elle-même, simplement nue, que j'ai trouvée. Pas un parc, pas un bois, mais un corps immense, vivant, imperturbable. Je l'imaginais effrayante, sauvage aux bruits insomniaques, mais elle m'a tout de suite enveloppé dans un calme profond. Les nuages de brume s'étaient installés sur le fjord à quelques mètres et il faisait trop sombre pour espérer apercevoir un dos blanc, mais nous étions enfin tous les deux conquis par ces forces naturelles. Comme deux Kafka dans la cabane d'Oshima, attirés par une forêt pleine de réponses.
La vie sur le fjord est un long fleuve tranquille.
Nos rythmes cardiaques sont restés à terre, nos corps sont plongés dans un rêve, discrets pour ne rien déranger. Nos cerveaux sont éteints, seuls nos yeux, nos nez et nos oreilles sont en alerte. Nous avons envie de tout toucher, mais nous restons immobiles devant ce phoque qui pique une tête. Au milieu du lac, assis dans notre coquille fragile en fibre de verre, nous sommes guidés par les courants millénaires, touchés par quelques gouttes de pluie qui se posent en silence sur ce gigantesque tapis au bleu profond. L'un guette, l'autre écoute, tous deux hypnotisés par ce tableau envoûtant. Nous rentrons, le temps ne s'est malheureusement pas complètement arrêté. Mais cette fois, nous ne pouvons pas simplement continuer d'avancer, de reprendre la route. Les couleurs nous manquent déjà et nous espérons toujours voir ce blanc étincelant. Naturellement, nous décidons d'oublier les heures et nous nous retournons. Assis sur le rivage, il n'y a pas soudain de petits poissons qui tombent du ciel, mais ce béluga qui danse pour nous dire au revoir.