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Boulimique et Alcoolique.

Boulimique se réveille ce dimanche matin avec son mal de ventre habituel. Il traine le pas entre sa chambre et la cuisine.
Boulimique et Alcoolique.
Photo by Andrea De Santis on Unsplash

Boulimique se réveille ce dimanche matin avec son mal de ventre habituel.

Il traine le pas entre sa chambre et la cuisine. Il traine son boulet, au dessus de la ceinture, malgré des jambes vigoureuses, fossilisées dans une gloire passée. À table, Alcoolique regarde son aspirine se dissoudre au fond d'un grand verre d'eau. Le bruit de l'effervescence est douloureux pour son corps tout entier. "Plus jamais", se lancent-ils pour se saluer.

Live fast and die young.

Le jour où il a dégoté son premier job il y a plus de 15 ans, Alcoolique a écouté pour la première fois MGMT. Puis en boucle. Pendant des mois. L'indépendance lui ouvrait ses bras et il a plongé les yeux fermés. Time to Pretend. L'heure de faire semblant. Être loin du réel lui semblait idéal. Il s'est mis à ne parler qu'anglais, parce que live fast and die young est beaucoup moins punk dans la langue de Molière. Pour plonger, il a plongé. Deep dive dans des fonds parfois colorés, parfois obscurs, où la musique souvent résonne, où la pression souvent déraisonne. Lorsqu'il avait la tête hors de l'eau, c'était pour sentir l'adrénaline de l'ascension, l'étouffement des sommets. Pour entamer une nouvelle chute, subir le nouveau choc brutal contre une eau pourtant si calme. Il se perd dans le Grand Bleu, couleur néon, couleur curaçao.

(Je suis obligé d'ouvrir cette parenthèse. Je suis moi-même plongé dans mon texte, à écrire cette ligne sur le Grand Bleu, quand on m'annonce que mon médecin vient de perdre la vie lors d'une descente en apnée. La réalité nous rappelle trop souvent que la fiction n'en est pas vraiment une. Que ceux qui ont le pouvoir de sauver des vies ont la limite de ne pouvoir sauver la leur.)

La gourmandise de Boulimique quant-à-elle n'a pas d'âge.

Il lui semble qu'il est né avec, si bien qu'il ne s'est jamais imaginé vivre sans. Car si son colocataire est tombé dans un profond verre d'alcool quand il avait vingt ans, la nourriture lui fut essentielle dès son premier jour. Le problème c'est que l'appétit vient en mangeant, comme lui disait sa mère en beurrant ses tartines. Et même si son corps un temps a grandi vers le ciel plutôt que vers le large, le laissant brièvement envisager la possibilité d'une carrière sportive, l'éclipse qui s'est posée sur sa sexualité s'est installée pour ne plus laisser entrevoir la lumière. C'est ainsi souvent dans un Grand Bain, dans lequel il ne peut plonger, qu'il fait patauger sa solitude. Heureusement qu'une petite glace permet d'effacer la détresse et que dans le placard, les tablettes de chocolat n'ont pas encore disparu.

Hier soir, au restaurant, Boulimique a beaucoup mangé et Alcoolique a beaucoup bu.

Les sens étaient en éveil, les corps légers malgré le poids des volumes qui les remplissaient. Ils parlaient forts, riaient de leurs addictions, s'assuraient qu'ils vivaient ainsi pleinement. Pourtant le rythme a ralenti, MGMT pourraient chanter live slow but die anyway. Parce que ce dont ne parle pas la chanson, c'est de la chute. Tomber est douloureux. Ça l'est encore davantage avec une ancre en bas des hanches ou une migraine en haut du crâne. Alors ce matin, comme chaque matin, ils se promettent de faire face. De se serrer les coudes et se prendre la main pour empêcher ainsi, au moins pour moitié, les gestes à la saveur éphémère.