Canada Dry.

Les vacances ont commencé dans l’avion.
Après la petite bouteille de rouge, le grand café et l'étron conséquent au dessus du Groenland. Dans les toilettes, situées au centre de l’Airbus comme un podium dans une boîte de nuit, je me suis demandé combien de personnes avaient fait l’amour contre ce petit lavabo face à moi. Au même moment, je me demandais comment Jul avait pu vendre autant d’albums. C’est quand je me pose ce genre de questions que je sais que j’ai quitté la réalité et que j’ai la tête dans les nuages. J’étais déjà loin du stress de mes problèmes d’enregistrement, ayant été assez stupide pour mal taper mon numéro de passeport sur la demande d’autorisation d’entrée au Canada. Je cherche le ou la responsable de la police d’écriture utilisée sur les passeports français, qui t’empêche de lire s’il s’agit d’un 1, d’un l minuscule ou d’un I majuscule. Mais une fois passé cet obstacle et l'Atlantique, j'ai été inspiré.
Car le voyage inspire.
On ne peut écrire qu’en étant libre, ou décrire l’enfermement le cas contraire. Je comprends mon amour pour Murakami, qui n’écrit qu’à l’étranger, pour Hemingway, citoyen du monde, pour Saint-Exupéry, citoyen des airs, ou pour Kerouac, citoyen des routes. On est à la fois puissant et fragile quand on voyage, et c'est ainsi qu'on écrit ce genre de phrase faible mais vraie. On est puissant quand le pilote propose à l'aller de “regarder la banquise depuis le côté droit de l’appareil”. On est fragile quand il ne propose plus au retour de la regarder depuis le côté gauche de l'appareil car nous avons brûlé la banquise en même temps que le kérosène.
En parlant de brûlé, on a eu le privilège d’atterrir à Montréal le jour où la ville était la capitale la plus polluée au monde.
La découverte de la ville du Mont-Royal s’est faite sous la fumée des incendies (même si on avait pris que l’option mer et kayak), avec un indice de pollution trente-trois fois supérieur aux limites acceptables pour le corps humain, un soleil qui meurt, des yeux qui pleurent, un nez qui pique et une bouche qui gratte. On s’est alors arrêté dans un pub pour une Poutine et un Canada Dry, et c’était difficile de faire plus actuel que ces deux réunis.
La première nuit j'ai rêvé de choses étranges, c’est le risque quand je déconnecte.
J’ai rêvé d’un gars qui avait des besoins particuliers. Il aimait se mettre en short et s’allonger sur le ventre sur les pistes cyclables pour se faire rouler sur les jambes par des vélos. Son visage contre l’asphalte, je n’ai pas pu le reconnaître. Mais les besoins refoulés surgissent quand on se laisse aller. J'ai échappé au cauchemar, celui de parler avec l’accent québécois. Mais, au-delà de ces étrangetés, le monde saveur érable m’a fait rêver.
Dans la forêt, je me suis imaginé aventurier, vivant en autarcie dans cette cabane blanche, comme Kya dans son marais.
Mais il y avait les moustiques. Dans le fjord, on a eu la surprise de surprendre plusieurs phoques. Mais il aura fallu ramer trois heures. Dans la bulle, éclairée par la lampe de chevet, la pluie s’est métamorphosée en un feu d’artifice, dans un crépitement et une étincelle qui hypnotisent. Mais une fois sortis, elle nous a trempé et trompé, car baleines n'ont pas envie de sortir quand ça mouille dehors. Dans le bateau, le temps s'est figé pour écouter le souffle des rorquals. Mais nous n'avons pu qu'apercevoir une nageoire dans le brouillard épais. Dans la baie de Tadoussac, on a enfin vu les dos brillants des bélugas. Mais il nous aura fallu des heures d'observation derrière les jumelles. Bref, il faut donner beaucoup pour recevoir un peu, et c'est la plus belle conclusion du séjour.