Chaud Bouillon.

Dans un registre plus léger que l'A320 de la semaine dernière et moins sérieux que les révélations toujours en cours de digestion, parlons bouffe.
Bouffe pas légère et pas facile à digérer non plus, en fait. Sans rapport direct, il faut savoir que j'ai souvent eu envie d'écrire sur Paris, pour y être souvent sans y être étudiant, mais je manquais toujours de coeur pour le faire. Car, si Paris est la ville de l'Amour, ce dernier ne nous concerne pas, elle et moi. Ou parfois, par étincelles. Mais le feu ne prend jamais. Le coup de foudre a eu lieu Boulevard Charonne, au Palais de la Femme, mais ce n'était pas avec la Capitale. Alors parlons plutôt Grands Boulevards et fin palais, à la brasserie parisienne du Bouillon Chartier.
Si vous êtes chanceux, vous ne faites pas la queue.
Ou, pour être honnête, si, vous faites la queue. Faire la file indienne pour manger français, avec une pause Sangria espagnole à un euro à mi-parcours, ça fait partie de l'expérience. À chaque pas dans l'attente qu'une table se libère, vous affinez votre choix pour l'entrée, le plat et le dessert, avant de tout remettre en question une fois assis. Les meilleurs serveurs du monde, gilet noir et tablier blanc, vous accueillent avec un sourire chronométré et des gestes millimétrés. Car, si au Bouillon c'est une histoire sur la durée, tout y est optimisé. L'endroit est fascinant, inchangé depuis 1896. Vous cherchez un porte-manteaux pour votre redingote et votre chapeau. Vous n'avez jamais été aussi heureux d'entendre le brouhaha d'un quai de gare rempli de soûlards. Vraiment, plus il y a de monde, plus vous êtes contents. Vous insistez pour que les deux places restantes à votre table de quatre soient vite comblées pour partager pain et vin comme dans un Dernier Repas, la moutarde en plus. D'ailleurs, vous finirez par partager la terrine de campagne maison et votre histoire, car la carafe de rouge vient vite tâcher le nez et chauffer les joues.
Je pourrais conclure en vous parlant uniquement des entrées.
On pourrait tout manger : les oeufs mayonnaise, le poireau vinaigrette, le museau de porc, la terrine de campagne maison, les carottes râpées, les crevettes mayonnaise, le céleri rémoulade, les escargots. C'est enfin un quatre-heures digne de ce nom. Mais il faut garder de la place pour le second pichet, la pièce du boucher, la choucroute, le confit, le boudin, la saucisse, la tête de veau sauce gribiche et pourquoi pas une légère assiette de fromages. Ah, et les desserts. N'oubliez pas d'éponger le trop-plein avec un baba au rhum (plutôt un rhum au baba, d'ailleurs) ou l'incontestable coupe de crème Chantilly. J'ai encore faim rien que de relire le menu. L'appétit fait digérer.
En critique sérieux, parlons prix, sans critiquer.
Car, qui dit Paris, ne dit pas Douloureuse mais Insoutenable. Sauf au Bouillon. Entrées à trois euros, plats à dix, pichets à cinq. Vous comprenez pourquoi vous vous re-re-servez. Et si vous n'êtes pas trop saouls, vous aurez le plaisir de participer à une ultime épreuve, celle du calcul mental. Le serveur, lui, est sobre. Pourtant, voilà qu'il note chaque plat et son prix, de tête, au Bic, directement sur la nappe. S'en suit une addition plus ou moins simple en fonction du nombre de retenues. Et voilà votre ticket de caisse version 50cm x 50cm. À conserver. Si toutefois vous abusiez vraiment et que votre bourse ne suffisait pas, sachez qu'un talent peut vous sortir de là. Il suffit de regarder au mur l'oeuvre de Germont. Le célèbre peintre la donna en 1929 pour payer son ardoise. Mais oubliez alors l'idée d'avoir, comme jadis, votre petit tiroir attitré, parmi ceux où les habitués laissaient leur serviette.
Ainsi, Paris je l'aime ainsi : à la bonne franquette et aux rythmes de la Belle Époque.
Et pour le Bouillon, je retourne à la Capitale et dans le passé volontiers. Vous êtes juste un peu trop de lecteurs (mais peu tout de même) pour que je vous y invite tous, mais l'esprit est là. Bon dimanche, bon appétit, et à défaut d'aller au Bouillon, rendez visite à papy-mamie.