C'ui-ci a pas de chance.

Si on ne parle pas pognon, le suisse n'a pas de chance.
Ça a commencé en 1850, quand le fromage blanc que tout le monde appelle le Petit-Suisse est en fait né à Villers-sur-Auchy, en Normandie. Le vacher était bien suisse, mais le Petit-Suisse est bien français. Zut ! Scheisse ! Cazzo ! dit depuis le suisse dans ses trois langues qui ne sont pas les siennes, et Chaja ! s'il fait partie des 0,5% de la population qui parlent romanche. Le Suisse s'est ensuite rattrapé sur le plan international grâce à sa cuisine saine à base de chocolat, de fondue et de raclette, mais surtout grâce à sa recette unique de la neutralité. La neutralité, c'est bien, mais c'est quand même ennuyant. Résultat, le suisse n'apparaît dans aucun livre d'Histoire, et on confond son drapeau avec une trousse de premier secours. Quant à sa présence dans les livre de Géographie, c'est juste un caillou au milieu de la semelle européenne, sur le point de tomber dans la botte italienne. Le suisse aurait pu aussi être français, comme son fromage blanc, ou allemand, dont il a choisi à la majorité de garder une langue simple et sensuelle. Mais il a préféré rester solitaire, comme son voisin Lichtenchteinois, encore plus discret que le secret bancaire. Après tout il est tranquille, le français s'acharnant surtout sur le belge.
Mais la malchance suisse ne s'arrête pas là.
On imagine facilement le suisse rouler en voiture de gros cylindre, car il faut bien faire quelque chose de l'argent qui coule à flots, comme le chocolat coule des fontaines. Mais au-delà de son diesel allemand, sur le plan environnemental, le suisse est certainement un amoureux de la nature, n'y-a-t-il pas après tout que des lacs et des montagnes dans la Suisse intra-muros ? Car, la faute à sa neutralité, il y a peu de vestiges d'empires à visiter, la ville de Gruyère n'est en effet pas réputée pour sa bataille sanglante du temps de Vercingétorix. À ne pas confondre avec le couteau suisse Victorinox, le seul couteau où on se sert de tout sauf de la lame, car la guerre le suisse ne fera point et le matelas le suisse n'éventrera point, ses billets étant en sécurité dans les coffres forts. Bref, même si, par quelques coups d'accélérateur abusifs dans les rues de Genève et de Zurich, le suisse pollue un peu, toute proportion gardée, ne peut-il peut regarder les émissions de carbone de pays voisins ou lointains avec colère ? C'est vrai, que fera-t-il l'hiver s'il n'y a plus de neige ?
Et pourtant.
C'est bien la Suisse, le pays qui n'a jamais fait de mal à personne (sauf aux administrations fiscales voisines), qu'on attaque et condamne ! Mardi 9 avril 2024, journée normale pour la France : une plainte pour inaction face au dérèglement climatique est classée sans suite. Faut dire que la France est un modèle en matière de lutte, le gouvernement est sur tous les fronts, la cause écologique est devenue naturelle chez nous, c'est certainement pour cette raison qu'il n'y avait pas nécessité à garder un ministère distinct. Ce même jour, de l'autre côté de la frontière, coup de tonnerre dans les calmes cantons helvétiques ! 17 heures, Heidi rentre du bureau, elle profite par la fenêtre entrouverte de sa Mercedes Classe A (qui n'a rien à voir avec son indice de pollution) du printemps fraichement arrivé, après une journée passée à répondre à des demandes d'accès aux informations bancaires d'une dizaine de clients, c'est non, non et non ! Elle écoute comme chaque jour Schweizer Radio und Fernsehen 4 News sur l'autoradio, quand soudain l'animateur à l'accent de la pub Ovomaltine lui apprend que la requête de sa grand-mère Martha (il a juste fait référence à un groupe de 2500 femmes âgées, et c'est Heidi qui sait que Martha en fait partie) auprès de la Cour Européenne des Droits de l'Homme, a donné lieu à une première condamnation historique d'un pays pour manquements des autorités pour atténuer les effets du changement climatique. Pourquoi la Suisse et pas les autres ? Certainement parce qu'on savait que le suisse était trop neutre pour faire appel. L’Office fédéral de la justice (OFJ), qui représente le gouvernement suisse devant la Cour, a en effet simplement dit qu’il prenait acte de l’arrêt de la Grande Chambre.
Alors une pensée pour toi, petit suisse, fromage blanc et drapeau blanc, damné par la France, déjà condamné à Villers-sur-Auchy et maintenant condamné à Strasbourg. N'oublie pas que tu as plus d'une arme à ton couteau suisse, montre l'exemple, bats-toi cette fois, pour l'écologie.