Dick.

Dick aime le calme.
C’est un petit gars qu’on qualifierait sans hésiter de discret, surtout par rapport à ses petits camarades. Son objectif dans la vie, c’est que la journée passe sans faire de vagues. Que de neuf heures à dix-sept heures trente, heures d’ouverture de la Bourse de Paris, il avance d’une heure à l’autre sans se faire remarquer. Dick est du genre à fermer les yeux, à compter ses respirations pour oublier les cris dopés à l’adrénaline de ses supérieurs. Surtout que des supérieurs, il en a des centaines, voire des centaines de milliers maintenant. Mais certains sont clairement plus influents que d’autres. Il y en a même trois, quatre, qui pourraient littéralement le faire disparaître. Car Dick, même si la mort lui fait peur, est plutôt fan des électrocardiogrammes plats. Quand ça monte ou quand ça descend, il n’aime pas, il a la nausée. D’ailleurs, Si Dick préfère se faire discret, c’est parce qu’il n’aime pas les sensations fortes. Et, dans son métier, qu’on se le dise, c’est la honte.
Il ne peut pas en parler, de peur d’être humilié.
Car Dick est indice boursier. Et clairement, quand on est indice boursier, on est censé être amateur de montagnes russes, mêmes si les russes en ce moment ont plutôt l’air de tout faire descendre et rien remonter, à part l’indice Wagner. C’est d’ailleurs en partie à cause des russes que Dick en ce moment a la boule au ventre quand il part travailler. Un message de travers quelque part dans le monde et c’est la garantie d’un vomi, d’avoir le sol qui s’ouvre ses pieds, ou d’être propulsé vers des sommets souvent très fragiles. Pour lui, dans un sens ou dans l’autre, c’est le même malaise, son corps n’est pas fait pour ça. Il sent qu’il n’y a rien de naturel dans ces comportements boostés aux rumeurs, aux mensonges, aux hormones, aux besoins déconnectés de fric. Mais c’est tabou d’en parler, c’est gros comme le nez au milieu de la figure, mais le but c’est de toujours regarder ailleurs, comme si de rien n’était.
Dans son métier, on doit rester éveillé en regardant vers les cieux.
Mais la gloire qui s'y trouve n'intéresse pas Dick. Il a compris avec le temps qu'elle était toujours éphémère. Les cycles se suivent et se ressemblent, tous les ans il fait son tour dans le tambour de la machine à laver des marchés financiers, et il est déjà lessivé. Alors on lui propose de respirer de la poudre blanche pour remplacer la neige qu'il n'a pas le temps d'apprécier. Ainsi, même la nuit est ensoleillée et on peut suivre les exploits et déchéances des collègues sur les autres continents. Mais dans cette cacophonie, cet univers irréel déconnecté du réel, tout le monde est seul, comme Dick. Et même si la cocaïne rend les dents blanches et les sourires étincelants, tous finissent faux et malades, comme Dick.