Échec, mate.

Ce serait (me) mentir si je ne parlais pas d'échec dans ces réflexions.
J'ai essayé de relativiser, de trouver des synonymes pour me déguiser encore une fois. Je me suis perdu dans l'imaginaire, comme dans le troisième monde de la pensée de La Fin des Temps. Je vous ai barbé de métaphores et j'ai dû vous perdre aussi. C'est que, quand on est en perdition, on y va par quatre chemins. Alors je me suis amusé à demander au Larousse (en ligne) les synonymes du mot échec, pour me cacher encore une fois. Il y a de beaux mots. Dommage qu'on y trouve pas le nom de leur auteur, j'aurais eu envie de le remercier pour son imagination et sa perspicacité. Pour échec, on trouve ainsi : accident, culbute, déconfiture, déroute, gifle, insuccès. Dans la catégorie "familier", on trouve buse, fessée, fiasco, loupé, pelle, piquette, plof, plouf, raclée, ratage, veste. Si un jour vous avez du mal à vous convaincre de quelque chose, ouvrez un dictionnaire, vous y trouverez des synonymes d'évidence.
J'ai fait mon choix : déroute, loupé et ratage siéent bien à ma condition.
Je suis une buse qui s'est pris une veste et a besoin d'une bonne piquette pour oublier cette déconfiture. Ce n'est en rien un accident, un échec n'est jamais un accident. Je vais devoir écrire au Larousse. On échoue pas volontairement (si ?), mais on a bien fait le choix de se lancer dans une entreprise, peut-être pas vouée à échouer, mais dont les risques d'échec sont plus importants que les chances de réussite. Je l'ai répété, d'une voix assumée : "neuf startups sur dix se plantent", mais j'ai bien sûr toujours été convaincu que j'allais créer la dixième. Il vaut mieux en être persuadé après tout, sinon à quoi bon essayer. Alors après le premier échec je me suis dit que la solution c'était de créer dix des entreprises. Avec mes lacunes mathématiques, les statistiques étaient infaillibles : l'une d'entre elles me couvrirait de gloire.
Je n'en suis pas encore à la dixième.
Je me suis arrêté net en lançant la cinquième, quand j'ai réalisé que j'avais vraiment échoué et que je m'apprêtais seulement à refaire la façade. Même l'évidence est difficile à accepter. Cela aurait été plus simple si on trouvait le nom de mes entreprises dans le Larousse, avec le mot échec dans la liste des synonymes. J'ai ainsi mis une fausse éternité à comprendre que ce n'était pas le Covid, pas la crise, pas la guerre, pas la connerie des gens qui ne comprennent rien, qui étaient responsables de cet insuccès (j'aime bien le mot, il relativise, il donne envie de dire "ah mince alors, je me suis complètement planté, zut !"). Il s'agit bien de ma connerie, de mon ignorance, de mon manque de maturité et de mon non-manque d'ambition. Et de l'armée de synonymes qui s'y attache. Ça semblait si beau de se lancer dans quelque chose, sans maîtrise et sans filet, en espérant flotter au dessus des nuages. Il a bien fallu que je redescendre, l'effet de toute drogue s'amenuise. Il a bien fallu que je prenne la tempête sous les nuages, longue de plusieurs hivers, avant d'être à terre.
Mais la mort n'est pas un synonyme d'échec dans le Larousse.
Une gifle, c'est rien une gifle. Une fessée non plus. Même d'une raclée on se relève. D'un plof et d'un plouf aussi j'imagine. On apprend, on grandit, on se muscle les jambes et on pose les pieds sur Terre, pour de vrai. On reprend les bases, on dépoussière le dictionnaire et on l'ouvre aux pages amateur, humilité, réalité. On sourit, on regarde le ciel, le soleil qui perce à travers les nuages. On comprend qu'il va falloir monter, pas à pas, pour peut-être un jour admirer la vue au-dessus des nuages. Qu'il n'y a qu'en commençant tout en bas qu'on peut vraiment s'imaginer être tout en haut. Et qu'on réalise le chemin à parcourir.