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Finistère Amer.

Paco est citronnier. On pense qu'il passe ses journées planté là, à prendre le soleil, à ne rien faire, mais il bosse.
Finistère Amer.
Photo de Dan Gold sur Unsplash

Paco est citronnier.

Citronnier citronnier, l'arbre, pas le récoltant. On pense qu'il passe ses journées planté là, à prendre le soleil, à ne rien faire, mais il bosse. Le citronnier travaille dur pour hydrater les gosiers tout l'été, être la rondelle fidèle d'un Perrier, le frisson ultime d'une Tequila Paf. Il pousse pour sortir chaque jour un citron plus beau, plus jaune, plus gros, plus juteux, plus amer que la veille. Paco est français, il est né Gorbarin, de la commune de Gorbio, près de Menton. Vous savez, la ville du citron. Mais très tôt il a dû partir pour trouver du travail ailleurs, plus loin de la concurrence. Il était haut comme trois pommes, il a pas vraiment eu le choix, il était trop jeune pour décider.

Paco est donc citronnier immigré.

Il aurait pu partir pour l'Italie, s'installer à Capri et devenir producteur de Limoncello ou acteur, décor d'un film de Godard. Mais les couleurs jaune et bleue du camion qui l'a embarqué n'étaient pas celles d'un citron ilien ou d'une mer Méditerranée. Elles étaient celles froides d'un géant suédois qui laissait ses racines orphelines et emmenait Paco vers le nord. Il était étriqué dans un pot de plastique, serré entre quatre autres camarades enlevés, écrasé par un autre camarade enlevé, écrasant un autre camarade enlevé. Dans le noir, il avait perdu l'orientation et la notion du temps, mais les secousses s'étaient arrêtées avant de passer une frontière. Il n'avait pas entendu parler d'autre langue que le français, aucune trace de suédois, même pas sur l'étiquette qu'on lui avait collée. Il n'allait a priori pas vers le Jour Polaire avec des journées sans nuit et sans repos. Il ne s'était pas trompé.

Paco est devenu breton.

Dès son arrivée au bout de la Terre, les embruns se sont immédiatement posés sur ses feuilles fines. La sensation était bizarre, mais l'odeur pas désagréable. Le vent s'est engouffré dans ses branches abîmées. Il a perdu pied un instant, mais le rythme l'a finalement bercé. Le soleil a frappé son écorce pâle d'un indice UV puissant. Cela l'a surpris dans une contrée si lointaine, mais la chaleur a généreusement parcouru son tronc menu. Acheté par un abonné IKEA Family à Brest, il a quitté ses voisins Gorbarins pour devenir propriétaire de 50cm2 dans un verger inconnu, près de la mer. Alors qu'il n'était qu'un citronnier parmi tant d'autres, le voici unique, original, à l'aise dans une terre fraîche, droit sur son tuteur, entouré de poiriers et de pommiers qui le regardent jalousement. Il voit bien un olivier à une trentaine de mètres, il a l'air d'aller, il semble avoir réussi à prendre racine dans cet environnement hostile. Lui aussi pourrait finalement s'y plaire, les températures y sont clémentes, on ne souffre pas de canicule. Oui, il pense qu'ici il pourrait défier la nature et faire de beaux citrons. Des beaux citrons bretons. Il ne servira peut-être pas à rafraîchir des limonades estivales, mais il est déjà pressé de trouver une place de choix dans les rites alcooliques locaux.