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Grains de sable.

Alain se laisse porter. Le vent à la force idéale, un vent de Suet, comme on l'appelle sur sa côte bretonne, doux, chaleureux, accompagné d'au moins une dizaine de rayon soleil qui percent les faibles nuages installés là depuis belle lurette.
Grains de sable.
Photo by jim gade / Unsplash

Alain se laisse porter.

Le vent à la force idéale, un vent de Suet, comme on l'appelle sur sa côte bretonne, doux, chaleureux, accompagné d'au moins une dizaine de rayon soleil qui percent les faibles nuages installés là depuis belle lurette. Quand il n'y a pas une brise et qu'Alain peut rester les fixer, il se demande de quoi eux sont faits et se persuade que leur mouvement est un langage qu'il n'arrive simplement pas à déchiffrer. Ni lui, ni ses congénères à qui il pose sans arrêt la question, au cas où l'un d'entre eux, par le plus grand des hasards, y serait parvenu. Alain aime aussi admirer ces humains sur leurs planches, parachutés dans le ciel par les mêmes rafales qui le font tourbillonner, pour son plus grand bonheur. Lui aussi rêverait d'être kite surfer, mais sa mère lui a dit "dans une prochaine vie", alors il attend patiemment.

Alain se laisse porter.

Il est transporté sur des dizaines de mètres en rasant la plage, son désert de montagnes à lui, formé par les siens, milliards de grains de sable. Il aime cette sensation de liberté que lui procure le vent, il se sent seul au monde, même si une fois revenu sur Terre, rien n'a changé : d'autres grains de sable, semblables, d'un blanc immaculé, à perte de vue. Parfois bloqué sous un humain pour quelques heures, Alain prend son mal en patience et regardent les peaux rougir au soleil, parfois dorer. Il se demande pourquoi lui et les autres grains ne changent pas aussi de couleur, ne sont-ils pas après tout sous le soleil toute la journée, quand il fait beau ? Il se dit que ce serait magnifique, une plage qui change de couleur au gré des saisons.

Alain se laisse porter.

Puis atterri en douceur, comme les plumes de mouettes parfois abandonnées sur le rivage. Il se pose à quelques centimètres d'un rocher d'un gris puissant, à tâches de rousseur, qui le plonge immédiatement dans l'ombre. Alain a compris tout seul, les rayons de soleil traversent les nuages mais pas les rochers. Ces rochers qu'il aime aussi observer, mastodontes qui cassent la monotonie du décor. Mais il dit souvent à sa mère qu'il n'aimerait pas être à leur place, toute une vie immobile, insensible aux vents et aux marées. Il demande souvent à ne pas être un rocher "dans une prochaine vie". Sous ce rocher là, après quelques secondes, le temps que ses micro-yeux s'habituent à l'obscurité de l'antre, il croit voir quelque chose d'inhabituel. Il cligne plusieurs fois des yeux, se dit qu'il doit avoir un grain de sable dans son oeil de grain de sable, ou quelque chose du genre, car il est entouré de centaines de grains de sables noirs, complètement noirs.

Alain prend peur.

Il saute pour espérer être emporté par une brise, un souffle, mais rien n'y fait, pas de vent de Suroît ou de Sudet ou d'ailleurs à l'abri du rocher. Il recule doucement pour ne pas se faire remarquer.
Bouh !
Gary surprend Alain, il l'attendait caché derrière lui. Il est hilare, mais tout ce qu'Alain voit, c'est qu'il est tout noir, et ça ne le fait pas rire du tout.

— Moi c'est Gary, et toi ?
— ...
— Je parie que c'est la première fois que tu vois un grain de sable noir, pas vrai ?
— Euh, ouais. T'es vraiment un grain de sable ?
— Ben tu ne trouves pas qu'on se ressemble comme deux gouttes d'eau, façon de parler, à part la couleur je veux dire ?
— Euh, si. Mais pourquoi tu n'es pas blanc ?
— Je suis blanc, enfin je l'étais. Enfin ça n'a pas d'importance, si ?
— Je ne sais pas, chez moi on est tous blanc blanc, alors on ne se fait jamais peur.
— Nous aussi ici on est tous blanc blanc, mais il y a quelques années on a été submergé par la marée noire de l'Erika, t'en as pas entendu parler ?
— Si, mais je croyais que c'était juste une légende moi !
— On aurait préféré, depuis on est planqué là parce qu'on fait peur à tout le monde, et en plus on colle comme les humains qui se badigeonnent d'huile de monoi.
— Alors t'es comme moi ?
— Ben oui, toi et moi on est juste deux grains de sable dans l'Univers, rien de plus, rien de moins ! Et puis le noir et blanc, moi je trouve que ça se marie bien.
— Alors on peut être copains ? Moi c'est Alain ! Tu comprends ce que disent les nuages toi ?
— Bien sûr !