Ils voyagent en solitaire.

Chauffage éteint, j'enfile grosses chaussettes et sweat à capuches, histoire d'économiser des points pour mon quota carbone.
Car, même sous la couette à lire, tout incite au voyage. Prenez Jacques. Jacques a dit qu'il était de temps de prendre la mer, arrivé à bon port de Méditerranée, après avoir parcouru la Terre. Il était pour moi de ces êtres qu'on ne rencontre jamais, mais grâce à qui on en rencontre d'autres sur nos routes, qui nous changent à jamais, qui nous donnent envie de voir toujours plus loin. Jacques est parti à bord d'un voilier, tartares et babas dans la cabine, direction l'Amérique, qu'il avait découverte juste après Christophe Colomb. Jacques boucle sa boucle et nous laisse sur la vieille Europe, pour en ouvrir une nouvelle.
Au même moment, six skippers s'élancent de Brest pour une course en solitaire.
Le premier tour du monde en trimaran géant, une boucle de 40 000 kilomètres en forme de Grande Vague de Kanagawa. Ils ont du croiser Jacques au large du Portugal, s'il était bien porté par ses airs de jazz. La Course du siècle des Géants des mers qui salue le Dernier voyage d'un arrière grand-père. Un hommage par un tour du monde en quarante jours, sans mettre le pied sur terre, sur des multicoques qui touchent à peine la mer, et soumis à des conditions extrêmes entre les caps de Bonne-Espérance, Leewin et Horn. Jamais je ne voudrais être à leur place, mais je ne peux pas être breton sans une certaine admiration.
C'est une année de voyages, le plus long trajet en train vient d'être dessiné.
19 000 kilomètres et plus de vingt jours de voyage. Départ de Lagos au Portugal, puis Lisbonne, Hendaye, Paris, Moscou, Pékin, Vientiane, Bangkok, Padang Besar, Penang, Kuala Lumpur, et enfin Singapour. Ça rentre pile-poil dans mes congés payés, mais il faudra oublier le billet retour. Je vois le train pour Paris qui s'arrête devant ma fenêtre, je suis à cent mètres d'une folie. Une folie raisonnée, on sera pas mal niveau carbone, et puis je ne me suis toujours pas remis des turbulences passées. Jacques était fils, mari, père, grand-père, arrière grand-père, artiste et voyageur. Je ne vais pas pouvoir tout faire, ni à l'endroit, ni à l'envers, mais il y a bien plusieurs façons de boucler ses lacets, alors je sors du lit et je me remets à marcher. Sa main dans ma main, Manset et Bashung dans mes oreilles et des héros dans ma tête, qui voyagent en solitaire.