Infos traffic.

Vert.
Prévisions de circulation habituelle de Bison Traffic pour ce samedi, idéal pour un voyage inhabituel. Départ Côte d'Azur, arrivée Fin de la terre, du latin finis Terrae et surtout du breton Finistère. Un voyage en solitaire, avec le fantôme de Bashung et un cerveau dont les synapses s'activent au frottement des roulements, au contact de la gomme sur l'asphalte. Certes, il est peu question d'écologie, il m'est impossible d'envisager un blablacar car je n'ai justement aucune envie de parler, juste de laisser mes pensées aller et virer au gré de la conduite. Il est question de communion entre la route et l'esprit, dans une passion de jeunesse, un amour du bitume.
Sous le soleil.
En direction de Saint-Tropez, le Rocher de Roquebrune s'impose dans le décor désertique d'un Western et ainsi les lunettes de soleil sur mon crâne déserté. Pas un nuage à l'horizon, j'imagine jusqu'à destination un trajet de vacances estivales, à croiser des automobilistes le visage pincé par le sel, serviette de plage sur le siège. J'imagine des gamins à l'arrière, enfants de la Méditerranée, impatients d'être ballotés par les vagues de l'Atlantique et surpris par les marées. Qui ne comprennent pas qu'ils ne sont pas encore arrivés.
Mystique.
En une seconde je plonge dans un brouillard épais, je ne vois plus rien, une boussole me confirmerait pourtant que je suis toujours au Sud. Je ralentis, enlève à contre-coeur mes lunettes de soleil affolées. Après quelques minutes le panneau lumineux qui apparait au dernier instant n'affiche pas "Brouillard, soyez prudent" mais "VÉHICULE EN FEU A 4 KM". Le choeur de Kanye West chante et répète Hallelujah ! sur la chanson Selah dans une ambiance de cathédrale, quand soudain surgit le véhicule carbonisé, son conducteur résigné près de lui, qui se réchauffe les mains en prière sur ce brasier. Au loin, les girophares bleus percent enfin la grisaille.
Les routes se ressemblent.
Nice - Brest se découpe en cinq tronçons, la patience est de mise dans la monotonie des lignes droites et la concentration dans les quelques virages. Dans l'habitacle, je regarde droit devant ; dans ma tête, je regarde en arrière. J'écoute Signs of a Struggle de Mattafix, l'album de mon premier voyage, je lis sur le GPS le temps qui passe en pensant au temps qui passe. Je retourne parfois loin, Gold chante avec moi Plus près des étoiles à gorge déployée, Corynne Charby met le feu à ma voiture disco avec sa Boule de flipper. Pas de limite de décibels sur l'autoroute, ici je ne fais chier personne, la route est un lieu d'expression, un symbole de liberté, parfois même on hésite à suivre les chemins déjà tracés.
L'été qui s'achève.
Nul besoin de Cabrel pour comprendre que je suis désormais un privilégié. Je découvre l'automne près d'Avignon, l'autoroute est gorgée de rouge et d'orange sur ses abords. Puis l'hiver, dans le parc naturel de Livradois-Fordez où la neige tapisse les basses montagnes. Le tableau de bord affiche une alerte car la température est passée sur la barre des trois degrés. Ensuite, Clermont-Ferrand déverse une année de pluie en quelques minutes pour me faire rebrousser chemin, mais il m'en faut plus, je suis breton. Le Centre de la France ne m'intéresse guère, je ne vis que pour ses extrêmes. Mais je comprends qu'avec ses quatre saisons et ses paysages opposés, elle a tout pour plaire.
Degemer Mat.
La Bretagne est la seule région sur ma route qui me souhaite la bienvenue. Impossible ici de définir la saison, elle se cache dans la nuit alors que j'arbore la dernière ligne droite. La plus longue, cette voie express parfois si lente, dont on connaît par coeur ses étapes. Brest est au bout, j'ai le privilège de sortir juste avant, de raccourcir le parcours de quelques kilomètres, de retrouver la maison quelques minutes avant les autres. J'achève mes réflexions routières sur un ciel qui se dégage, j'aperçois mêmes les étoiles que chantait Gold en quittant Nice. Je suis en forme, la route me repose. Tout est si clair, je comprends que si j'ai tant besoin de partir, c'est pour le bonheur répété de rentrer.