Jean-Claude du Hibou.

Au dessus du bar, il y a une énorme tête de hibou taillée dans le bois.
Rien d'anormal, le bar s'appelle Hibou Grand-Duc. Juste en dessous, neuf tireuses à bières, de la Débauche à la Morning Glory. Derrière le bar, un serveur qui est dans mon feed Instagram depuis un moment. Pas parce qu'il follow lostintheshuffle.blog (et vous ?), mais parce qu'il est mannequin pour une marque éco-bobo-chèro qui m'a bien ciblé (sauf qu'elle ne propose pas la taille XS). Devant le bar, sage et bien assise, Peluche, la chienne de Jean-Claude. À moins d'un mètre d'elle, accoudé au bar, Jean-Claude en personne. Crâne et menton parfaitement rasés, lunettes rétro-bobo, ventre avenant, Jean-Claude cache un demi de blonde dans sa forte main droite, tient la laisse de Peluche dans sa douce main gauche. C'est littéralement ce à quoi il tient, ce qu'il lui reste, ce qui l'empêche de lâcher prise. Il ne nous le dit pas, mais on le sait, il a le sourire triste et le regard veuf.
Jean-Claude garde des mini-croquettes en forme d'os dans la poche de son jeans.
Ce n'est pas pour leur parfum, c'est pour montrer toutes les deux minutes à Peluche qu'elle est plus importante que le reste du monde. Qu'il n'a d'yeux que pour elle, même quand les demis s'additionnent. Elle est devenue sa moitié, et pour rien au monde il la priverait d'une friandise, lui qui a compris que la vie était trop courte pour se soucier d'un bonbon ou d'un bourbon. Il se méfie des inconnus qui s'approchent, Peluche n'est ni à voler, ni à donner, ni à vendre, ni à abandonner. Il est allé la chercher dans un refuge et il a bien l'intention de lui donner tout l'amour et la protection d'un coeur blessé. Car ils ont tous les deux une nouvelle vie à construire. Il y a des douleurs passées et de l'incertitude, mais pas de doute, ils étaient faits pour se rencontrer.
Quand on dit à Peluche qu'elle est trop belle, ce sont les yeux de Jean-Claude qui s'illuminent.
Il confirme et surenchérit. On a trouvé les mots magiques pour que tous les deux baissent la garde et nous laissent donner quelques caresses. Peluche semble apprécier alors pour nous remercier, Jean-Claude nous tend une croquette. Pas pour nous, pour Peluche. "Tu me donnes la patte ?", demande alors Bettina, la croquette entre les doigts. Peluche en donne deux. Alors Jean-Claude tend une seconde croquette en retour, entre eux c'est donnant-donnant. Jean-Claude nous complimente en retour, nous dit qu'on est gentil. C'est un beau compliment quand on y réfléchit, peut-être le plus beau.
Alors on fait connaissance avec ce couple attachant.
Quand on dit à Jean-Claude qu'on habite pas loin, sur l'avenue des français libres, il nous dit que son père était français libre et qu'il serait ravi de nous en parler à l'occasion. Quand on lui dit qu'on travaille pour des boîtes tech, il nous dit qu'il était officier radio dans la marine, qu'il communiquait en morse et que c'est en partie grâce à lui que la tech est née, car des guerres naissent les innovations. Quand on se présente enfin, il nous dit que nos prénoms sont plus facile à retenir que ceux des élèves malgaches qu'il a eu quand il enseignait son métier. Bref, Jean-Claude a le partage généreux et de choses uniques à transmettre. De vive voix, parce que le morse, c'est fini. Jean-Claude, c'est un pilier de vie plutôt qu'un pilier de comptoir, le genre de personnes que tu vas voir quand tu perds foi en l'humanité. Mais comme avec Peluche, ce sera donnant-donnant, car Jean-Claude en retour a besoin de retrouver son sourire heureux et son regard amoureux.