Nomad's land.

À cet instant précis, je suis immobile.
Pour une fois ce n’est pas moi mais le décor qui change, au fur et à mesure que le tram avance. Je m'éloigne de la Place Garibaldi près du Vieux Nice, me dirige vers l’aéroport. Je fixe mon teint presque hâlé qui se reflète face à moi. Derrière la vitre défilent les facades d’immeubles jaunes, gorgées d’un soleil de printemps. Après quelques jours à faire souffrir mes pieds et mon foie dans Nissa La Bella, cette pause en mouvement avant la prochaine destination me permet de tirer les premières leçons de cet entretien.
Car je recrute actuellement : je rencontre des villes candidates.
Candidates à accueillir mon corps instable, incapable de rester en équilibre plusieurs mois au même endroit. Cette visite constitue la deuxième étape de mon processus. D’abord je parcours les curriculum vitaes des quelques destinations qui me font douter du vert de l’herbe que j’ai sous le pied. Je liste leurs points forts, leurs points faibles. Surtout j’écoute leur motivation, leur conviction à me convaincre qu’elles sont la prochaine étape idéale de l’aventure. Je suis particulièrement exigeant, alors qu’en retour je n’ai que très peu à apporter, soyons honnêtes.
Il y en a beaucoup d'autres qui, comme moi, n’en finissent jamais avec les entretiens d'embauche.
Eux à l’inverse dans la détestation grandissante de l’instabilité, en quête d'un CDI en postulant à des postes en CDD. Eux à l’inverse de moi, qui accepte des CDI sachant qu’il est toujours possible de démissionner quand la fraîcheur du poste se sera estompée. Non, je ne rêve pas de CDI, dans quel but ? Voir loin, jusqu’à 25 ans précisément, grâce à tableau de mensualités de crédit(s) accroché à mon frigo ? Ce tableau qui tient avec les magnets de mes congés d’été planifiés un an à l'avance ? M'imposer cette certitude, c'est être certain de mourir un peu plus à chaque échéance d’emprunt. Cette même échéance qui pourtant libère d’un peu de capital, d’intérêt, et de cotisation d’assurance à rembourser. Comment définir en une signature les 25 années à venir, quand je n’ai pas été le même d’un mois à l’autre les 25 dernières années ? Non, je ne veux ni contrat paraphé ni chemin tracé. D’autant moins que mon optimisme choisirait d'acheter un bunker plutôt qu'un appartement. Oui, je veux une vie de CDD ! Je veux m’aventurer chaque jour dans ma propre existence. Je veux voir de quoi un trentenaire en perdition est capable. Je veux foncer en hors piste la tête la première, tout schuss !
Mais revenons-en à mes entretiens.
Je ne suis pas sans domicile fixe parce que je veux constamment fuir. Je suis sans domicile fixe parce que je veux constamment découvrir. Je veux vivre la vie des autres, pour être heureux de vivre la mienne. Je veux apprendre leur langue, leurs coutumes, leur cuisine. Je veux parler avec égale fierté de la Socca de Nice, du Käse Mit Musik de Francfort, de la Pastei de Nata de Lisbonne. Je veux avoir les yeux qui brillent à chaque fois que j’arpente une rue. Si l’étincelle disparaît, je disparais. C’est le retour du nomadisme ! Je suis le chasseur-cueilleur qui avance au gré des saisons et des découvertes. Je ne veux pas être le sédentaire qui s’approprie, qui cultive, qui transforme, qui bouleverse les lois de la nature pour finalement les détruire. Après tout on nous dit de marcher 10 000 pas par jour, pourquoi le faire en rond ?
On me dit que c’est un manque de maturité, une peur de l’engagement, une fuite en avant.
Mais choisir de ne pas savoir de quoi demain sera fait, c’est s’engager sans peur. C’est être mature que d’être serein dans l’incertain. Ce n’est pas fuir quand nous emmenons avec nous d’autres âmes vagabondes à la recherche de richesses éphémères. Car il n’y a aucune raison d’être solitaire, nous sommes des millions à vouloir être libre. Libre de nos gestes, de nos pensées, de nos paroles. Libre pour donner le meilleur de nous-mêmes, pour ne pas nous mentir.
Mais revenons-en à mes entretiens.
Nice a été convaincante, les impressions sont bonnes, les arguments sont surprenants, les souvenirs sont nombreux, déjà plongés dans le bleu de la Méditerranée. Dans quelques semaines les saveurs italiennes tenteront de m’envouter à travers Rome, la ville Éternelle, pour prendre l’avantage sur les exaltants parfums de Provence ?