Normal.

Je me pose beaucoup de questions sur la normalité.
J'imagine que c'est normal. Mais ça ne l'était pas avant, pas pour moi en tous cas. Pendant longtemps pour moi la normalité c'était mon enfance, ses valeurs, son environnement, ses connexions. Tous ces petits pixels et ces pièces de puzzle qui permettent de constituer un point d'ancrage autour duquel graviter, sans le perdre du regard. Mais le temps rend aveugle et c'est trop tard que je m'aperçois que le point a disparu. Je regarde partout autour, tout est révolu. Ce n'est plus le même monde, tout simplement. Cela ne me fait ni chaud, ni froid, mais l'absence de repère est parfois dérangeante. Suis-je normal ? Suis-je quelqu'un de bien ? Suis-je intelligent ? Je regarde autour, rien est identique, pas même semblable. Alors je me juge normal, et toutes les personnes différentes, anormales. Je me considère comme quelqu'un de bien bien sûr, la plupart du temps comme une personne intelligente. En lisant ce journal ce matin je m'imagine cultivé comme celui qui m'explique le Trou Noir le plus proche de notre planète. Puis je m'indigne de la stupidité de nos politiques, sur une autre planète, qui ont dans la tête un trou noir.
J'imagine que tout le monde s'imagine normal.
On aime se croire connecté, les pieds sur Terre, proche de la réalité. En réalité, nous sommes soit abandonnés, soit privilégiés. J'appartiens à la catégorie des privilégiés, dans laquelle on retrouve des inconscients, des conscients et des cons. Je pense que l'on passe d'une sous-catégorie à l'autre à intervalle régulier, même s'il est souvent difficile de sortir de la connerie. Ce sont finalement les abandonnés qui ont le plus conscience du privilège des autres, c'est ainsi que les conscients s'en veulent parfois et tendent la main.
Dans tous les cas, il n'y a rien de normal, il suffit de lire un journal pour que cela saute aux yeux.
Aujourd'hui, vendredi 27 Mai 2022, j'en ouvre un. Dans l'ordre : "Fusillade dans une école au Texas : comment la NRA réussit à empêcher toute réforme". "La Russie accusée de génocide dans le Donbass". "La crise alimentaire va durer". "Torture, exécutions : nouvelles séries de graves violences policières au Brésil". "L'hôpital face à la pénurie de manipulateurs radio". "De nouvelles plaintes déposées ce matin contre la marque Buitoni". "Chocolat kinder contaminés aux salmonelles : Foodwatch dénonce une gestion de crise qui se moque du monde". "Séisme de 6,1 au Timor Oriental : risque de tsunami." "Sénégal : 11 bébés morts dans l'incendie d'un hôpital". "Tempêtes de sable : un phénomène de plus en plus fréquent et intense qui préoccupe". "Espagne : 51 cas de variole du singe confirmés". Heureusement, il y a des bonnes nouvelles aujourd'hui : "Présidentielles 2022 : Valérie Pécresse a pratiquement remboursé sa dette de 5 millions d'euros".
Je ne sais pas trop où j'ai envie d'en venir.
Me sentir conscient d'être privilégié j'imagine. Écrire pour être moins inconscient, moins con. Mais je ne sais pas tendre la main, j'ai peur d'être emporté. Je lis, je m'indigne, j'écris. Je m'interroge sur la normalité, je cherche un nouveau point de repère, mais toujours du bon côté du tableau. Comme quand je me tenais face à cette grande tapisserie, dans les couloirs magnifiques du Musée du Vatican. Heureux touriste qui admirait une oeuvre d'art historique : Le Massacre des Innocents. Après quelques minutes à fixer cette mère dont l'enfant est égorgé sous ses yeux, je revenais à la normalité et continuais ma visite.