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Nous traversons une zone de turbulences. Priez.

À trop vouloir alourdir mon bilan carbone, j’ai failli y laisser ma plume.
Nous traversons une zone de turbulences. Priez.
Photo de Trinity Moss sur Unsplash

À trop vouloir alourdir mon bilan carbone, j’ai failli y laisser ma plume.

Les turbulences ont commencé doucement, comme quand le voisin du milieu de touche l’épaule pour aller pisser. Une petite tape dans le dos, amicale. Et puis le ciel s’est rapidement noirci, les hublots n’étaient pourtant pas teintés. J’étais perplexe, certain d’être au dessus des nuages. Avant d’avoir le temps de m’inquiéter, il nous a frappé, par coups secs, puissants. Comme sur un ring. Le ciel avait le rythme léger et cadencé du boxeur qui se déplace, qui cherche l’angle parfait pour lâcher le coup droit et le retour gauche en plein visage.

Ça a duré trente minutes et le combat était à sens unique.

J'aurais voulu qu'on puisse déclarer forfait dès la première minute, mais le pilote ne disait rien et j'avais l'impression qu'il voulait tester ses propres limites. Je l'imaginais dans le cockpit avec une tête de chien enragé (je l'espérais ?), pendant que, dans la cabine, certains avaient la tête dans leurs bras, comme pour se protéger des coups. Ceux qui prétendaient garder la tête haute communiquaient entre eux par le regard. Comme si chacun demandait à l’autre un temps mort. J'en faisais partie, la tête bien rentrée dans les épaules. Je n'avais pas le temps de penser à ceux qui s'amusaient parfois à m'appeler Christophe Willem avec mon haut de corps de tortue. Ils auraient bien rit en me voyant (sans être dans l'avion). Il restait encore une heure de vol et l’avion battait sérieusement de l’aile. Je regardais celle de droite vaciller beaucoup trop fort, frappée par le vide, par un ennemi invisible. Les gens hésitaient à s’accrocher les uns aux autres, mais l’avion n’était pas suffisamment plein. Les sièges vident représentaient des gouffres. Derrière moi, il y avait des cris mais, quand je me retournais, je ne voyais que le regard incapable du steward, accroché à sa triple ceinture. Il n’arrivait pas à me sourire, le métier a ses limites. Je me suis demandé pourquoi il avait choisi une telle vocation. Je me suis demandé pourquoi j’avais choisi l’avion. Ensuite, il y a eu les coups bas. La simulation que le ciel était au sol, le calme, une route. Avant des nouveaux hypercuts encore plus violents. Il faisait presque nuit à dix heures.

Le corps est secoué, mais surtout l’esprit.

Dans le ciel immense, des pensées surgissent d’abîmes que seule la peur peut mettre en lumière. Tout semble néanmoins très clair, évident. Les turbulences viennent tracer des lignes droites et sans obstacle dans ma tête, m’annoncent un plan de vol pour les prochaines années. Il y a de belles choses, vraiment. Je vois ma vie défiler. Celle à venir, pas celle d’avant. Ceux qui sont au ciel devront attendre, j’ai, semble-t-il, d’autres projets, pleins de gravité. Alors j’ai presque envie de prier, pour que cette aile droite sert les fesses et tienne les coups. Pour ne pas être l’anomalie dans le prochain roman de Le Tellier. Pour me laisser le temps d’écrire ces lignes. Pour mettre sur les rails ces flashs de vie que je viens d’avoir. Et davantage de trains, à l’avenir, promis. Je me concentre sur un passager, face à moi, qui fait le coucou sur son siège à chaque turbulence. Il rebondit à gauche, à droite, en haut. Il sert dans sa main son téléphone allumé, sur l'écran Candy Crush semble imperturbable. Je ne regarde que le jeu, pour me dire que je ne suis moi aussi que dans une attraction, rien de plus. Que l'avion est le moyen de transport le plus sûr. Que tant que les masques ne sont pas tombés, on peut garder le sourire. Je repense à ma mère qui se moque encore de moi parce qu'à cinq ans j'avais pleuré dans l'avion du carrousel. Ils avaient dû arrêter le manège, sous les yeux moqueurs des petits de deux ans. Trente ans plus tard je réitère ma demande : qu'on arrête le temps que je descende !

Ladies and Gentlemen, we have started our descent to Paris Charles de Gaulle Airport. Please remain seated and keep your seatbelt fastened (no kidding). We will land shortly (no kidding ?).

Ladies and Gentlemen, we have just landed in Paris, Charles de Gaulle Airport. Local time is thirty past nine and the temperature is seventeen degrees Celcius. Please remain seated with your seatbelt fastened until the complete stop of the aircraft. Applaudissements.