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On n'est pas arrivé.

Mon cerveau est bloqué comme une autoroute française. Les idées y parviennent à la vitesse d'un tracteur, mais sans revendication à bord.
On n'est pas arrivé.
Photo by Kenneth Schipper Vera / Unsplash

Mon cerveau est bloqué comme une autoroute française.

Les idées y parviennent à la vitesse d'un tracteur, mais sans revendication à bord. J'observe, je ne suis pas inspiré, la file de tracteurs est face à nous et je crains seulement une marche arrière. "Ce qu'on demande, c'est que la France revienne en arrière sur toutes les règles qui ne sont pas les mêmes règles qu'au niveau européen". Rejet du plan de protection des zones humides ? Suppression des zones de non-traitement et de la distance de sécurité vis-à-vis des habitations et des milieux protégés ? Moratoire sur les pesticides ? Dommage pour le Green Deal. Je comprends que, quand c'est bloqué devant, on préfère regarder derrière, mais il faudra bien avancer un jour ou l'autre, sachant que les jours sont déjà comptés. Un Massey Ferguson devrait pouvoir faire face aux obstacles.

J'ai un respect immense pour le métier d'agriculteur, mais j'ai un respect immensément immense pour la nature.

Souveraineté alimentaire pourquoi pas, encore faudra-t-il avoir des terres à cultiver et des personnes à nourrir. Importer, c'est polluer, produire, c'est polluer. Je peux comprendre que l'équation zéro carbone soit difficile à résoudre, mais Cédric Villani est libre de tout mandat (il a perdu aux législatives de 2022 de 19 voix, il a dû les compter et les recompter, le pauvre mathématicien). J'écris alors que Gabriel Attal enfile ses bottes Aigle pour se rendre tout à l'heure dans une exploitation bovine, pour annoncer, pieds dans la merde, une nouvelle série de mesures procrastinatrices (je ne sais pas si ça se dit, mais j'ai la flemme de vérifier).

Sinon, si ça peut l'aider, le Haut Conseil au Climat a publié son dernier rapport jeudi.

Le résumé fait onze pages, ça se lit facile bloqué dans un bouchon. Si le Premier Ministre se rend à Montastruc-de-Salies en avion (enfin, à l'aéroport le plus proche), il n'aura peut-être pas le temps de tout lire, alors je me suis permis d'en retirer quelques extraits qu'il pourra présenter à la presse :

On pollue grave, surtout avec la merde que j'ai sous les bottes.
L'agriculture et l'alimentation jouent un rôle central dans l'atteinte des objectifs climatiques de la France. L'alimentation représente 22% de l'empreinte carbone du pays. Au sein du système alimentaire, les émissions de gaz à effet de serre du système agricole représente 60% et ont peu diminué par rapport aux autres secteurs d'émission en France et à ses voisins européens.

On se tire une balle dans le pied, comme Artic Ice, vous connaissez ?
Les impacts du changement climatique sur la production agricole sont importants depuis plusieurs décennies et s'intensifient. En France, les conséquences sur les rendements des cultures et de l’élevage sont déjà visibles, et vont continuer à s’amplifier. S'adapter est nécessaire pour protéger les agriculteurs et éleveurs, limiter les dommages et préserver la stabilité de l'approvisionnement alimentaire.

Sauf que, sauf que.
Les politiques agricoles et alimentaires actuelles sont peu mobilisées en appui aux politiques climatiques. Et, même s'il existe de nombreuses options d'atténuation et d'adaptation au changement climatique pour le système alimentaire, sa structure et son fonctionnement rigides freinent l'adoption de nouvelles pratiques et verrouillent la possibilité de changements transformationnels. Une réduction ambitieuse des émissions de gaz à effet de serre et une adaptation protectrice nécessitent une planification et des investissements concertés que seul un changement profond des systèmes agro-alimentaires rend possible.

Dommage, donc !
En suivant une approche d’ensemble, une réduction de 50 % des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole à l'horizon 2050 est réalisable, si elle est accompagnée d’une baisse d’au moins 30 % de consommation de produits d'origine animale, de soutien et accompagnement des acteurs, et d’actions renforçant la résilience du système alimentaire, qui est un prérequis à l’atteinte des objectifs climatiques de la France. Avec des hypothèses plus ambitieuses sur l’ensemble des leviers, dont la consommation alimentaire et le stockage de carbone dans les sols agricoles, il serait même possible de se rapprocher de la neutralité carbone du secteur agricole d’ici 2050.

Mise à jour après le discours :

Gabriel Attal est arrivé en richelieu, sur un sol soigneusement sali, pas trop. Il a posé son discours sur un ballot de paille, stylé. Il s'est installé près de l'agriculteur Jérôme Bayle en casquette jaune, alias JuL, qui avait proposé plus tôt dans la semaine de venir le chercher à Matignon en tracteur (il aurait eu le temps de lire le rapport complet du HCC). Et surtout, il n'a pas eu le même discours. Après une longue introduction et des punchlines que JuL notait sur son calepin pour son prochain album (comme celle qui a fait mouche : "Dans paysan, il y a pays. Dans paysan (silence), il y a pays."), le Premier Ministre n'a pas parlé de 2050, d'ambitions, de changements transformationnels, d'approche d'ensemble, il a dit : "On a décidé de mettre l'agriculture au-dessus de tout", "on arrête ce qui va être prévu" et "tout ce qu'on peut faire dès maintenant, on le fait". Colères, promesses, élections, colères, promesses, élections, colères, promesses, élections. On se répète, et en tracteur, on n'est pas arrivé en 2050.

JuL qui prend note de la punchline "Dans paysan, il y a pays."
JuL qui regarde ses clips sur son téléphone parce que Gabriel Attal n'a toujours rien annoncé après 30 minutes.