The Door.

J'ai le pied dans la porte.
Je l'ai mis là d'un coup furtif, sans réfléchir, dans un élan d'espoir, ou désespéré, je ne sais pas. Toujours est-il qu'il y est. C'était comme si Brian avait ralenti la fermeture me sachant derrière, comme s'il voulait voir si je saisissais l'opportunité d'essayer de m'enfuir. Il s'en doutait, ça faisait quelques temps qu'il me voyait avec mon regard de chien battu, avec mon humour français disparu, mais il pensait certainement que je resterais assis, sans bouger, parce qu'on est figé quand on ne sait pas ce qu'il y a de l'autre côté de la porte. C'était sans savoir que j'avais désormais un chien qui a peur de tout, mais pas des portes qui s'ouvrent.
La porte pèse trois tonnes.
Du coup pour l'instant, c'est plutôt inconfortable. Je vois des mouvements et des ombres de l'autre côté, de la lumière aussi, beaucoup, mais pour l'instant il n'y a rien que je puisse vraiment distinguer, encore moi toucher. Un faux mouvement et la porte se ferme, et je finirais juste avec le pied gonflé et les yeux éblouis. Il faudrait que Brian revienne, prétende qu'il ne m'avait pas remarqué dans l'entrebâillement, qu'il utilise sa force pour ouvrir grand la porte, ou pour me repousser derrière. Je sais que c'est à ça qu'il pense en ce moment, à cette décision qu'il doit prendre. Il ne peut plus ignorer, ce serait non-assistance à personne en danger, et je crois en sa bonté.
Et si ça s'ouvre ?
Est-ce que je suis prêt à détaler ? Sans laisse, sans GPS, je vais où ? J'ai mon petit parachute accroché au harnais, mais encore faut-il sauter dans le vide. Prendre son envol c'est bien joli, mais voler n'est plus trop ce qui m'attire depuis l'épisode turbulent et traumatisant. Il faut plutôt que j'imagine un grand jardin, une faune et une flore à apprivoiser, de nouvelles odeurs et de nouvelles couleurs à rencontrer, une vaste étendue de campagne à découvrir. Que je réalise que, sans maître, je peux tracer mon propre chemin, dessiner un monde à mon image, façonner un nouvel univers pour d'autres qui auraient encore le pied coincé dans la porte.