Le monde des licornes.

Je vais vous raconter l'histoire du monde des licornes dans lequel j'ai cru pouvoir vivre.
Rien de magique, rien d'imaginaire, c'est ici l'une de mes réflexions les plus terrées. Je ne suis pas à une contradiction près. Ces licornes dont je vais vous parler ne m'inspirent aucun oxymore, simplement des sentiments contraires qui ont failli me déchirer. Le monde des licornes, c'est un monde qu'on imagine parfait. C'est vrai, que pourrait-il se passer de mal quand on est une licorne, entourée d'autres licornes ? C'est vrai, mais pourquoi la licorne a-t-elle une corne ?
Depuis toujours, quelques érudits croient en l'existence de la licorne.
Pour la plupart, elle n'est qu'un fantasme, un imaginaire. Mais l'imaginaire nourrit les ambitions, et voilà que j'ai cru réellement pouvoir en toucher une. Bien sûr, on entre pas dans le monde des licornes d'un claquement de doigts, même pas en rêve. Il faut être prêt à tout, perdre sa personnalité jusqu'à perdre la tête. Pas pour devenir licorne, même pas soonicorne, juste pour s'en approcher. Pour être en haut, parmi l'unique. Je me suis vu avec cette longue corne vrillée miroitée à l'entrée de ce monde inaccessible.
Pourtant, les licornes existent bien.
Il y en a exactement 27 en France à l'heure où j'écris ces lignes. Elles gravitent autour de la fierté d'Emmanuel Macron. Des startups valorisées à plus d'un milliard d'euros, on a vite le vertige dans ce monde sans gravité. Les conteurs storyteller font scintiller si brillamment leurs cornes qu'on ne voit plus rien d'autres, ni les startups qui réussissent humblement, ni les startups qui meurent humblement. L'indifférence est totale envers l'ordinaire.
Pourtant, le monde des licornes est un enfer.
En y perdant la tête on y perd ainsi la raison. Il n'y a ni règle, ni standard, la brillance de la corne rend aveugle. Croître ou mourir, l'hypercroissance au service d'un idéal sans but. Du cash qui brûle tel un carburant, pour faire avancer des ogres vers plus de milliards. Viser les étoiles d'un autre univers tel un sagittaire. Winner takes it all, on joue à la roulette, on jette les dés, on croise les doigts, on ferme les yeux. La corne ensanglantée, on donne des coups à quiconque oserait s'approcher. De réels perdants sortiront de cette bulle irréelle. J'attends que le monde réalise que celui des licornes n'existe pas.