Un monde nouveau.
Il est six heures, nous sommes le 20 octobre, je n'arrive pas à dormir.
Pas parce que c'est mon anniversaire aujourd'hui, mais parce que le premier à me le souhaiter est un moustique qui insiste très lourdement pour m'embrasser. Un moustique, fin octobre, en Bretagne. Le lendemain d'une alerte au colis suspect et d'une évacuation de la gare. De la gare de Rennes, en Bretagne. On a beau fuir, l'anxiété nous rattrape désormais partout. Faut dire que la Bretagne séduit de plus en plus.
On est donc tranquillement assis Chez Jean Bon.
Rosé dans le verre et sandwich signature dans l'assiette ("c'est un sandwich avec un pain au sarrasin dans lequel nous mettons un effiloché de cochon cuit dix heures à 100 degrés, du chou rouge confit avec des pommes, du vinaigre de cidre, des oignons de Roscoff grillés, une sauce blanche au lait ribot, que nous accompagnons de pommes de terre rôties"). Un policier entre. "Vous avez une petite faim ?", lui demande le propriétaire des lieux et l'inventeur du plat léger que nous sommes en train de déguster. Sombre, le policier lui annonce qu'il va sûrement devoir fermer l'établissement. Je regarde mon cochon, me demande si on n'a pas été trompé sur la marchandise. Car on trouve toute sorte de choses abandonnées près d'une gare. Mais non, aucun lien avec un mauvais contrôle sanitaire. Il nous annonce que la gare est en cours d'évacuation à cause d'un colis suspect. Aucun train, aucun métro, aucun bus. On habite à deux pas, c'est pas grave, mais on va devoir faire un détour de deux kilomètres pour rentrer. Le policier a l'air fatigué, il y a eu quinze alertes à la bombe aujourd'hui, on a dû vidanger la plupart des aéroports du pays. Avant de fermer les portes, le propriétaire nous sert un rhum breton à la poire pochée et au chocolat en guise de dessert express et un Calva pomme-poire local en digestif, qu'il débouche pour nous. On ne sait jamais, si c'était la fin du monde.
Heureusement, il y a l'espoir d'un monde nouveau !
Et il commence lui aussi en Bretagne. Vraiment, quelle région ! Ainsi, je m'abstiens cette semaine d'une nouvelle revue de presse (qui serait sans aucun doute des plus joyeuses) pour vous donner rendez-vous au coeur des Monts d'Arrées (oui, des montagnes, en Bretagne), pour une réalité de toute beauté. Samedi 7 octobre, 10h. Un groupe de neuf personnes se retrouve sur un parking de la forêt d'Huelgoat (29). Le rendez-vous a été fixé sur un groupe Facebook intitulé Tables Rondes Nouvelles 29 (TRN). Le journaliste du Télégramme (équivalent du New York Times, dans le Finistère-Nord) nous tient en haleine. Je laisse tomber Gaza et Arras et me plonge dans la forêt à la Roche Tremblante et dans ce qui ressemble à une nouvelle légende bretonne. Direction la mare aux fées, un endroit assez reculé où le groupe suivra une séance dédiée aux soins et au "baptême" de quatre nouveaux adeptes. Rien de blâmable jusque-là (le journaliste prend position, il n'a pas peur). Le problème, c'est que TRN va bien plus loin. Soupçons d'emprise, d'abus de faiblesse et de pratique illégale de la médecine (...). Je passe sur les rumeurs sans fondement de ce journaliste jaloux de ne pas avoir été baptisé. Car, le héros, c'est Éric Barthélémy, le fondateur de la secte (le mot est sorti tout seul). Il promeut des soins dans les monuments, l'eau, sur les pierres et autour des arbres pour une "réinitialisation des organes" et propose un retour "aux vérités historiques". Sur sa chaîne Magic 747 (en plus, il est fort en marketing), il déclare pouvoir nettoyer les âmes, être détenteur de vérités permettant d'opérer au mieux le grand passage vers un monde nouveau (réservé aux initiés, désolé) et combattre les réseaux pédo-sataniques qui dirigent le monde. C'est ça qu'on veut ! Barthélémy Président, l'accès aux soins astro-stellaires (remboursés), une initiation aux vérités vraies, et enfin, enfin, un monde nouveau.
